2014-11-13

L'autopsie psychologique



 



En 1194, les ministres de Richard Ier Coeur de Lion, descendant direct de Guillaume de Normandie, roi d'Angleterre, mirent sur pied l'institution des coroners, agents de la Couronne chargés d'enquêter sur les causes et les circonstances de décès obscurs ou violents. 
La langue française avait succédé au normand en 1154 (et se maintint pendant 250 ans), comme en témoigne cet Honni soit qui mal y pense sur le blason d'une cour de coroner (on y voit aussi la devise des souverains britanniques : Dieu et mon droit) qui s'adresse à ceux qui suspecteraient quelque intention malicieuse ou malveillante derrière les paroles prononcées ou les actes accomplis, sans arrière-pensée, à la Cour du coroner.
 
L'autopsie psychologique, appelée enquête de coroner dans les pays anglo-saxons comme le Royaume-Uni et l'Irlande est une pratique obligée en cas de mort violente ou non naturelle, ou lorsque le post-mortem n'a pu élucider la cause du décès. Le coroner  (du latin corona, 'couronne') peut décider d'enquêter aussi lorsqu'une personne décède dans les 24 heures de son admission dans un hôpital ou d'une opération chirurgicale et, en cas de mort naturelle, parce qu'il juge l'enquête de l'intérêt du public. Par ailleurs, tout décès survenu en cours d'incarcération ou en garde à vue fait l'objet d'une enquête de coroner.

Il s'agit pour le coroner non d'accuser, non de défendre, non de blâmer, mais de recueillir des informations sur le contexte de l'événement, le paysage familial et social, le parcours de vie de la victime, en un mot de rechercher des faits auprès d'un grand nombre de proches (pas seulement la famille). En ce sens l'enquête du coroner se démarque de la Common Law (procédure accusatoire). 

 
Qui était la victime ? Quand, où, comment et dans quelles circonstances a eu lieu le décès ?

Au terme de l'enquête du coroner, ouverte au public mais sans publicité, une audience a lieu et un verdict est émis quant au type de décès. Plusieurs verdicts sont possibles : cause naturelle, accident ou mésaventure, suicide, narratif (le coroner décrit les circonstances ayant mené au décès), homicide, divers (toxicomanie..), négligence, ouvert (éléments probants insuffisants). 

Les faits mis au jour par l'équipe du coroner sont probants si le coroner établit avec certitude qu'ils sont avec une grande probabilité à même d'étayer le verdict final. Les verdicts d'homicide et de suicide, néanmoins, exigent que les éléments probants le soient au-delà de tout doute raisonnable.

Le coroner n'a pas de décision à prendre en cas de négligence médicale, tout au plus peut-il ajouter "aggravé par auto-négligence ou manque de soin" aux quatre premiers verdicts. La Haute Cour a trois mois pour s'opposer au verdict.

C'est le coroner qui choisit les témoins. Certains déposent simplement, à d'autres est demandé un rapport, seuls les propos controversés exigent la comparution du témoin cité à l'audience finale. Le coroner autorise les personnes qui ont (selon lui) un intérêt direct dans l'enquête à poser des questions. Mais, contrairement aux tribunaux de Common Law, il n'y a pas de contre-interrogatoire ni d'obligation de répondre si la réponse est susceptible d'incriminer. Si le coroner juge qu'il n'a pu réunir tous les renseignements nécessaires ou si une enquête criminelle doit être envisagée, il y a ajournement.


En règle générale, au terme de l'audition finale, le coroner prononce des paroles réconfortantes pour les proches de la victime et fait quelques recommandations destinées au public que souvent les médias relaient. Lorsque les informations qu'il a recueillies donnent à penser que des décès pourraient être évités dans l'avenir, le coroner rédige un rapport résumant les faits antérieurs au décès et les circonstances, et préconisant des actions de prévention. 
Ce rapport est envoyé aux personnes et associations concernées, aux organismes administratifs, établissements et ministères aptes à prendre les mesures nécessaires pour prévenir le risque mis en lumière. Le délai pour répondre est de 56 jours. (deux mois lunaires). Ces rapports, autrefois désignés comme Rule 43, sont désormais publiés sur www.judiciary.gov.uk  et donc à disposition de tout un chacun. 


A coroner's inquest - 'Living London' (1901)

Bien que le travail du coroner consiste à enquêter sur des morts, son mandat premier est de protéger les vivants, en veillant à éviter que des décès de même nature ne se reproduisent. Le coroner a un rôle de veilleur, de sentinelle faisant passer d'un terrain dangereux à un terrain d'entente, il est un passeur de mémoire.

 Speaking for the dead to protect the living



Le rôle du coroner est central
Suicide - Autopsie psychologique, outil de recherche en prévention, Inserm 2005


En mars 2005, l'INSERM rendit publiques ses conclusions sur l'autopsie psychologique, une étude demandée par la DGS (la Direction générale de la santé) à propos de certains cas de suicide et dans un objectif de prévention. Le recueil d'informations sur la victime auprès de son entourage permettait-elle de comprendre ce qui avait pu l'amener à un tel acte ?
La compilation des données montra que la grande majorité des suicidés souffraient de troubles mentaux et en particulier de dépression.

Quatre experts européens examinèrent 350 publications scientifiques et différents rapports nationaux et internationaux. Les conclusions de cette revue devaient déboucher sur l'étude des conditions d'instauration, en France, d'une enquête susceptible d'identifier les facteurs de risque psychosociaux et environnementaux. Selon les experts, "cette approche devrait également permettre de mieux appréhender les interactions complexes entre les différents paramètres susceptibles d'être impliqués dans le geste suicidaire". 
La conduite des entretiens, qui donnait aux proches de la victime l'occasion de prendre la parole, devait être confiée à des psychologues ou psychiatres capables d'aider ces proches dans la gestion de leurs émotions et le fameux travail de deuil.
Se fondant sur les autopsies psychologiques, qui devraient prendre en compte aussi les facteurs biologiques et génétique, des études pourraient être lancées sur des populations spécifiques (personnes âgées, homosexuels...) dans la perspective du risque suicidaire et d'une épidémiologie du suicide.  
Les experts soulignèrent que la mise sur pied de l'autopsie psychologique nécessiterait une étude de faisabilité dans le contexte médical et juridique français.


 

L’obstacle médico-légal est défini dans l’article 81 du code civil qui précise que :
Lorsqu'il y aura des signes ou indices de mort violente, ou d'autres circonstances qui donneront lieu de le soupçonner, on ne pourra faire l'inhumation qu'après qu'un officier de police, assisté d'un docteur en médecine ou en chirurgie, aura dressé procès-verbal de l'état du cadavre et des circonstances y relatives, ainsi que des renseignements qu'il aura pu recueillir sur les prénoms, nom, âge, profession, lieu de naissance et domicile de la personne décédée.
 
Canas F et al. – L'obstacle médico-légal dans le certificat de décès ('How to alert the coroner's office with the death certificate ?') in La revue du praticien, vol 55 n°6, 2005
Les objectifs du présent article consistent à clarifier les notions de mort violente, suspecte et naturelle, et de définir les situations où l'obstacle médico-légal doit être signalé, en se référant aux recommandations de l'Ordre national des médecins et à la recommandation européenne n° R (99) 3 relative à l'harmonisation des règles en matière d'autopsie médico-légale. En pratique, les situations requérant l'obstacle médico-légal sont les suivantes: homicide ou suspicion d'homicide, suicide ou suspicion de suicide, violation des droits de l'homme, décès en détention ou potentiellement associé à des actions de police ou militaires, mort engageant une responsabilité éventuelle, mort mettant en jeu une législation particulière, catastrophe collective, mort subite inattendue, corps non identifiés ou restes squelettiques. Un principe de base est qu'une mort non attendue reste non naturelle jusqu'à preuve médico-légale du contraire!


Scott Cl et al. – The psychological autopsy : solving the mysteries of death, in Psychiatric Clinics of North America 2006 Sep;29(3): 805-22

The psychological autopsy is an important assessment tool used to identify aspects of a person's life that explain any lingering mystery that shrouds their death. In addition to answering questions of the past, the psychological autopsy has significant implications for the future. Statistics obtained from mortality data affect the course of health care research, the flow of resources, and ultimately public health policy. From a public health perspective, the misclassification of suicides as accidents or deaths from natural causes can negatively affect research funding and policy development related to suicide prevention efforts, making a standardized and accurate procedure imperative. Although the psychological autopsy was developed initially as a tool to assist the coroner in clarifying the cause of death, this procedure has transcended the confines of forensic science and has applications in the many arenas of litigation and public health policy.

Expertise collective – Compte rendu de la rencontre-débat autour de l'expertise opérationnelle : Autopsie psychologique, Mise en œuvre et démarches associées, Inserm 2008
Ce document rapporte les propos tenus lors de la rencontre-débat autour de l'expertise opérationnelle "Autopsie psychologique, mise en œuvre et démarches associées" du 10 septembre 2008. La DGS a sollicité l'Inserm à deux reprises pour faire un bilan des connaissances sur la démarche d’autopsie psychologique en recherche. Un premier rapport a été établi en 2005, faisant le point sur l’ensemble de la littérature, à la suite duquel la DGS a souhaité approfondir le sujet. Un groupe de travail a ainsi défini un certain nombre de principes et analysé les obstacles liés à cette démarche. En introduction, les intérêts et les limites de l'autopsie psychologique en recherche sont présentés. La première table ronde s'interroge sur les domaines dans lesquels les recherches impliquant l'autopsie psychologique pourrait avoir un impact sur la prévention du suicide. La seconde table ronde s'intéresse aux moyens et compétences nécessaires pour la mise en œuvre de recherches impliquant l'autopsie psychologique.

Suicide : autopsie psychologique et prévention, Inserm 2010


Bernstein D – Speaking From Beyond the Grave : How Psychological Autopsies Can Help Families Find Closure, in Shrinking Crime, July 2011