Colloque international organisé par l'Apeas et la MAE les 6 et 7 octobre 2014
Jeux dangereux, violence et harcèlement - Savoir, Comprendre, Prévenir*
Il est question ici d'une certaine catégorie de victimes, de ces jeunes qui
font une expérience en solitaire et parfois n’en reviennent pas. Le mot expérience est employé à dessein, car il est clair qu’ils
ne jouent pas. En groupe, l’objectif est de rire quand on voit un
copain s'évanouir, en solitaire c’est tout le contraire,
l’objectif est précisément de ne pas s’évanouir. Si tous les
policiers appelés sur les scènes de crime le savaient, ils
détecteraient plus facilement les indices (parfois un dispositif)
montrant que l'évanouissement, mortifère, était redouté.
Comment ont été glanées les données sur ces jeunes qui ne jouaient pas,
ici limitées à l'année 2008? À travers la presse britannique, et en particulier les Red Tops, toujours affamés de faits-divers singuliers, qui rapportent les audiences des coroners, incontournables en cas de mort non naturelle. Depuis le tournant du siècle ces articles sont publiés sur la
Toile.
Au Royaume-Uni le jeu du foulard est pratiquement inconnu, autrement dit n'existe pas, aussi la presse populaire ne craint-elle pas de violer un tabou lorsqu'elle rapporte qu'un jeune a été trouvé mort par pendaison : qui aurait l'idée de penser que peut-être il ne voulait pas mourir et que son acte n'était pas suicidaire ?
La mémoire des médias est malheureusement fort courte car la pratique du fainting game fut relayée par bien des journaux en 1999 lorsqu'un de ses camarades trouva Nicholas Taylor une ceinture autour du cou et l'autre extrémité attachée à la poignée de la porte de sa chambre à Eaton, pépinière des élites britanniques.
Ce drame, qui secoua d'incrédulité ceux qui le vécurent, fit dire à Robert Wilson, coroner de l'East Berkshire, qu'après avoir siégé dans cette cour de justice pendant 28 ans il pensait avoir tout entendu et se demandait à quel point il avait été naïf de ne pas imaginer que la strangulation pouvait avoir été pratiquée parmi des garçons qui étaient la crème de la crème de la société britannique et probablement d'une intelligence supérieure à la moyenne. Robert Wilson émit un verdict de mésaventure. Personne ne fut capable de répondre à la question qui désormais le hanta : pourquoi ?
Au Royaume-Uni le jeu du foulard est pratiquement inconnu, autrement dit n'existe pas, aussi la presse populaire ne craint-elle pas de violer un tabou lorsqu'elle rapporte qu'un jeune a été trouvé mort par pendaison : qui aurait l'idée de penser que peut-être il ne voulait pas mourir et que son acte n'était pas suicidaire ?
La mémoire des médias est malheureusement fort courte car la pratique du fainting game fut relayée par bien des journaux en 1999 lorsqu'un de ses camarades trouva Nicholas Taylor une ceinture autour du cou et l'autre extrémité attachée à la poignée de la porte de sa chambre à Eaton, pépinière des élites britanniques.
Ce drame, qui secoua d'incrédulité ceux qui le vécurent, fit dire à Robert Wilson, coroner de l'East Berkshire, qu'après avoir siégé dans cette cour de justice pendant 28 ans il pensait avoir tout entendu et se demandait à quel point il avait été naïf de ne pas imaginer que la strangulation pouvait avoir été pratiquée parmi des garçons qui étaient la crème de la crème de la société britannique et probablement d'une intelligence supérieure à la moyenne. Robert Wilson émit un verdict de mésaventure. Personne ne fut capable de répondre à la question qui désormais le hanta : pourquoi ?
L'affaire
étant plus que dérangeante, on convint que le cas était
exceptionnel et s'expliquait par la seule imagination prolifique des
brillants Eatoniens.
Le recueil de données s'est donc effectué de manière empirique via l'introduction de mots-clefs pertinents dans la fonction "alerte" du moteur de recherche : found hanging,
narrative verdict, misadventure, chocking game, prank, bunk bed,
belt, etc. Google envoie par courriel tous les articles où ces mots-clefs sont présents. Ont été ainsi relevés environ 270 cas entre 1999 et 2014, un
chiffre qui bien entendu ne saurait être exhaustif. Jusqu'en
2004-2005 quelques tabloïds comme le Daily Mail et Evening Standard
publiaient sur la Toile, l'impact du semi-tabloïd Telegraph, du
Guardian et de BBC News étant encore discret.
Au
Royaume-Uni quand surgit un décès inexpliqué, sans cause
apparente, anticipée ou naturelle, bien que ce non naturel ne soit
pas légalement défini, un coroner est désigné et une enquête est
menée sous sa direction. Ces officiers de justice nommés par les
autorités locales sont la plupart du temps des avocats, parfois des
médecins, avec au moins 5 ans d’expérience. Ils ne sont jamais
coroners à plein temps, c’est une activité sporadique, qui se
déroule en marge de leur activité professionnelle.
Les
coroners sont dotés de tribunaux spéciaux, en marge de la Common
Law. Cette procédure accusatoire des pays anglo-saxons implique que
le requérant et le défendant établissent chacun de leur côté,
avec leurs avocats respectifs, une version des faits, le juge et les
jurés optant pour le meilleur, le plus convaincant des deux récits.
En France et dans d’autres pays européens à procédure
inquisitoire, un juge est chargé d'une instruction au terme de
laquelle il décide de poursuivre ou non, suivant les éléments
probants qu’il a recueillis. C'est de cette manière que procèdent
les coroners. Ils se comportent comme des magistrats instructeurs,
interrogent les témoins, les amis, la famille, enquêtent sur les
activités de la victime, cherchent à savoir comment elle percevait
le monde et comment le monde la percevait, afin d'établir ce qui
s’est passé et être au plus près de ce qui est arrivé. Mais
l'objectif du coroner est de mettre au jour des faits et non des
fautes. Il existe en France, à l'état embryonnaire, une démarche
comparable réservée au suicide, l'autopsie psychologique.
L'enquête
de coroner, qui est publique, dure en général plusieurs mois et se
conclut par une audience où tout le monde est invité à
comparaître. Le parcours de vie de la victime est retracé, le
coroner peut autoriser les proches à interroger les témoins.
Personne n'est incriminé et le verdict, la décision finale, n’est
pas sans recours. Il est rare toutefois qu'il soit fait appel.
Symboliquement une page est tournée, socialement le tissu déchiré
est recousu, marquant les esprits d'une sorte de sérénité pérenne.
Au cours de
l'année 2008, au Royaume-Uni, 16 filles (4(1)–20, médiane 15/16
ans, 13 cas) et 25 garçons (8–25(1), médiane 13/14 ans, 16 cas)
semblent avoir succombé en raison de pratiques recherchant
l'hypoxie. Rien ne corrobore que la prépondérance "masculine"
soit autre chose qu'une spéculation, certaines indications donnent à
penser que les filles pourraient être plus prudentes.
Douze
garçons (8–13) sont morts lors d'un tragique accident, d'un jeu
qui a mal tourné, par imitation ou mystérieusement. À propos de
Joshua (8) le coroner Andre Rebello, contrairement à la presse qui
parle de suicide, émet un verdict de mésaventure parce que la
victime s’est mise elle-même dans cette situation sans que rien
n’indique qu’il se soit ôté volontairement la vie. Le verdict
concernant Sam (13) est narratif, une sorte de verdict par défaut
prononcé quand ne sait pas bien ce qui s’est passé tout en étant
sûr que ce n’est pas un suicide. Le coroner Alan Crickmore décrit
sans expliquer ni tirer de conclusion car il ne peut déterminer si
les actions de la victime ont été délibérées ou expérimentales.
Toutefois ses paroles donnent à penser que le coroner croit savoir
ce que Sam a fait. Cette enquête a duré plus d’un an et les
parents, c’est absolument exceptionnel, se sont opposés au
verdict. Ils ont ensuite fait campagne, persuadés, ou voulant le
croire, que le harcèlement avait poussé leur enfant au suicide,
bien que les enquêteurs n'aient rien trouvé à l'appui de cette
hypothèse.
Il arrive,
comme dans le cas de Jordan (13), que le coroner Nigel Chapman (un
médecin) soit singulièrement assez explicite – les éléments de
preuve dont nous disposons indiquent qu'il s'est livré à un jeu qui
a mal tourné –, bien que la qualification du jeu se réduise sans
plus de détails au fait qu'il a mal tourné.
D'une
manière générale, il n'y a pas de commune mesure entre les propos
des coroners, parfois sibyllins comme pour ménager tout en mettant
en garde, et les titres de la presse où le mot d'ordre n'est pas la
conformité à la réalité, mais le spectaculaire.
Parmi les
treize garçons de 14–24(1) censés s'être supprimés parce que
l'amie était loin, à cause d'une épidémie de suicides, en raison
d'un harcèlement (non confirmé) ou incompréhensiblement, le
coroner Thomas récuse explicitement l'hypothèse d'un suicide dans
le cas de Rupert (14), tandis que la presse explique le drame par le
renvoi du père, une personnalité de la BBC, huit mois auparavant.
Le coroner observe simplement que 14 ans, c’est un peu jeune pour
anticiper les conséquences de certaines actions.
La presse
titre que Ryan (17) venait d’entrer dans un mur avec l’auto de
son grand-père, et conclut, comme si cela était dans l'ordre des
choses, qu'il a enroulé une laisse autour de son cou et l'a
accrochée à la poignée d’une fenêtre. Sans ambages le coroner
David Hinchliffe déclare ignorer si ce décès est lié ou non à la
voiture mais remarque que quelque chose avait manifestement mis Ryan
hors de lui. Et d'ajouter à son verdict de mésaventure cette
déclaration qui en dit long et révèle qu'il n'est pas dupe : il
est possible que, comme beaucoup d’autres, il n’ait pas réalisé
que si l'on exerce une pression sur le cou, on tombe dans
l’inconscience en quelques secondes et au-delà de tout secours en
quelques minutes.
Du côté
des quatre filles de 4(1)–13, victimes par accident, du fait de
harcèlement (non corroboré) ou malgré une extrême popularité,
il y a le cas de Hannah (13) dont le décès est attribué à une
variante du mouvement gothique (addiction pour la tendance Emo,
premières lettres du mot emotional).
Malgré l'absence d'écrit évoquant le geste, élément suffisant
pour faire douter du suicide, le coroner Roger Sykes considère que
cette très jeune fille s'est infligé la mort. J'ai toutefois retenu
ce cas car le moyen employé (la cravate d'uniforme attachée au lit
superposé) est l'un des plus courants dans l'expérience en
solitaire.
Paige (4)
avait fait exactement la même chose la veille, elle avait attaché
un ruban à un hamac accroché à son lit superposé, son père
l'avait trouvée à demi étranglée et avait coupé le ruban,
croyant à un geste maladroit. Compte tenu de l'âge de la victime et
bien que l'enfant ait semblé savoir ce qu'elle faisait, la coroner
Rachel Redman a la prudence de conclure à un accident.
Parmi les
douze filles de 14–19, dont les médias justifient la mort par la
trahison ou le silence du copain, un épisode de somnambulisme, ou
encore le mimétisme, le cas d'Emily (15), malheureuse, selon la
presse, à cause de la séparation de ses parents, illustre ce qu’est
un verdict ouvert. Le suicide n'est pas exclu, mais l'intention de
mourir n’a pas été exprimée. Le coroner Andrew Bradley déclare
qu’il lui est difficile de concilier l’idée de la mort d’une
adolescente de 15 ans et le suicide. Emily était en pension. Sa mère
s'indigne qu’on ne l’ait pas surveillée tous les quarts d’heure,
ce à quoi le coroner répond qu'il ne partage pas son avis.
Le cas de
Georja (15) est troublant, car cette jeune athlète pré-olympique
venait juste de remporter une médaille d’or. Selon le coroner
Christopher Johnson, la mort a résulté d’une suspension effectuée
par la victime, mais il émet prudemment un verdict narratif,
l’intention restant obscure.
À
Bridgend, au sud du pays de Galles, une mystérieuse série de (25)
décès par semi-suspension inquiéta la population entre 2007 et
2008. Là encore on remarque la prudence du coroner Andrew Haigh qui
prononce à propos Jenna (16) et de Natasha (18) un verdict narratif,
ce verdict qui exclut le suicide et indique que l'acte n'a pas été
accidentel, mais qu'il n'a pas été possible de déterminer ce qui
l'a motivé.
Le principe
régulateur des enquêtes du coroner exige en effet d'établir
au-delà de tout doute raisonnable que la victime connaissait et
désirait les conséquences de ses actes.
Honi soit qui mal y pense (devise en anglo-normand de l'Ordre de la Jarretière, l'ordre le plus important de la chevalerie britannique - Dieu et Mon Droit