Vivre à plus de 5.000
mètres d'altitude, respirer de l'air dont l'oxygène est réduit à
50% ?
Ils le font, les quelque
50.000 habitants de La Rinconada (Pérou), la ville la plus haute du
monde dans un paysage à l'aspect un peu lunaire. Ni faune ni flore. La
vie ne s’aventure que peu à pareille altitude. Et la ville tient
plus du « gigantesque bidonville » que d’une ville au sens où
nous l’entendons classiquement. Sa raison d’être : une mine d’or
dont l’exploitation a explosé depuis les années 1990. Mais
comment vivent-ils ?
Une équipe de
chercheurs, sous la houlette de Samuel Vergès, chercheur Inserm au
laboratoire Hypoxie et Physiopathologies cardiovasculaires et
respiratoires, s'apprête à observer et comprendre cette population
qui évolue dans des conditions aux limites de la tolérance humaine.
Vous étudiez depuis une quinzaine
d'années les effets de l'hypoxie sur l'être humain. Pouvez-vous
nous en dire deux mots ?
SV : L'hypoxie, c'est le
terme qu'emploient les scientifiques pour désigner un manque
d’oxygène. Le sujet est sensible, car il touche un certain nombre
de patients atteints par exemple de maladies respiratoires telles que
les broncho-pneumopathies chroniques ou encore de cardiopathies
congénitales. Pour leur apporter des solutions thérapeutiques, nous
nous appuyons sur différents modèles. Des animaux que nous exposons
à des conditions d'hypoxie. Et des êtres humains qui évoluent en
altitude.
D'où l'idée de cette
expédition, l'Expédition 5300 ?
SV : Nous avons déjà eu
l'occasion d'étudier des sujets de plaines exposés pendant
plusieurs jours à de hautes, voire de très hautes altitudes. Nous
avons pu montrer des modifications de circulation du sang et de
réactivité des vaisseaux. Et même un gonflement du cerveau. Nous
avons même pu mettre au point un masque à pression expiratoire
positive qui améliore de manière significative l'oxygénation
artérielle dans ces conditions difficiles. Avec l'Expédition 5300,
nous avons souhaité nous intéresser à une situation jamais encore
explorer : la vie à haute altitude.
C'est pourquoi vous avez
choisi d'installer, pour plusieurs semaines, votre laboratoire à La
Rinconada (Pérou), une ville située dans la cordillère des Andes.
SV : La Rinconada
constitue un cas unique d'habitat permanent d'êtres humains au-delà
de 5.000 mètres d'altitude. Là, quelque 50.000 hommes, femmes et
enfants naissent, grandissent et travaillent en étant exposés en
permanence à un taux d’oxygène diminué de 50 %. En France, les
patients sont placés sous oxygénothérapie avant même d'en arriver
à ce seuil. C'est dire à quel point les conditions de vie à La
Rinconada sont extrêmes. Et constituent pour nous un terrain d'étude
exceptionnel.
Que savez-vous de ce qui
vous attend là-bas ?
SV : Nous sommes la
première équipe scientifique à accéder à cette ville et à ces
habitants hors normes. Mais grâce à un jeune médecin local, nous
avons déjà collecté de premières données cliniques pour en
extraire quelques informations intéressantes. Des valeurs
d’hématocrite - comprenez le volume occupé par les globules
rouges dans le sang - pouvant atteindre les 75 % par exemple, alors
qu'une valeur moyenne se situe autour de 40 %, par exemple. En
France, de telles valeurs sont considérées comme critiques et
immédiatement traitées.
Pour nous, les conditions
de travail s'annoncent difficiles. Mais notre équipe est constituée
d'une quinzaine de scientifiques que nous savons plutôt tolérants à
l'altitude.
Concrètement, comment
allez-vous travailler et quels sont vos objectifs ?
SV : Nous nous installons
au Pérou pour six semaines - à La Rinconada pour un petit mois -
avec un laboratoire éphémère qui nous permettra de procéder à
une toute première évaluation génétique, hématologique et
cardiovasculaire de cette population. Une caractérisation à échelle multiple - des gènes à l'organisme dans son ensemble, pris
dans son environnement - qui, nous l'espérons, mettra en lumière
les facteurs d'adaptation à ces conditions extrêmes.
Le tout devrait nous
permettre d'abord de proposer, par la suite, une prise en charge
médicale adaptée à la population de La Rinconada. Nos résultats
devraient également aider les habitants des plaines qui souhaitent
voyager en altitude à mieux tolérer ces conditions particulières.
Et bien sûr, nos travaux ont pour ambition de faire progresser notre
compréhension de toutes ces pathologies déjà évoquées et qui se
caractérisent par un manque d'oxygène.
La station de ski de Val Thorens peut être considérée comme la ville la plus haute de France. Elle est établie à quelque 2.300 mètres d’altitude. Et dans le monde, ils ne sont que quelque 140 millions d’habitants à vivre à plus de 2.500 mètres d’altitude. C’est la ville de Cerro de Pasco (Pérou), située à environ 4.200 mètres, qui a donné lieu au plus grand nombre d’études scientifiques sur les difficultés de la vie permanente en altitude. En élevant la barre de plus de 1.000 mètres, l’Expédition 5300 promet de franchir un pas en matière de connaissance sur les effets de l’hypoxie sur l’être humain.