2019-01-28

Aux confins de l'hypoxie





Vivre à plus de 5.000 mètres d'altitude, respirer de l'air dont l'oxygène est réduit à 50% ?

Ils le font, les quelque 50.000 habitants de La Rinconada (Pérou), la ville la plus haute du monde dans un paysage à l'aspect un peu lunaire. Ni faune ni flore. La vie ne s’aventure que peu à pareille altitude. Et la ville tient plus du « gigantesque bidonville » que d’une ville au sens où nous l’entendons classiquement. Sa raison d’être : une mine d’or dont l’exploitation a explosé depuis les années 1990. Mais comment vivent-ils ?

Une équipe de chercheurs, sous la houlette de Samuel Vergès, chercheur Inserm au laboratoire Hypoxie et Physiopathologies cardiovasculaires et respiratoires, s'apprête à observer et comprendre cette population qui évolue dans des conditions aux limites de la tolérance humaine.





Vous étudiez depuis une quinzaine d'années les effets de l'hypoxie sur l'être humain. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?

SV : L'hypoxie, c'est le terme qu'emploient les scientifiques pour désigner un manque d’oxygène. Le sujet est sensible, car il touche un certain nombre de patients atteints par exemple de maladies respiratoires telles que les broncho-pneumopathies chroniques ou encore de cardiopathies congénitales. Pour leur apporter des solutions thérapeutiques, nous nous appuyons sur différents modèles. Des animaux que nous exposons à des conditions d'hypoxie. Et des êtres humains qui évoluent en altitude.



D'où l'idée de cette expédition, l'Expédition 5300 ?

SV : Nous avons déjà eu l'occasion d'étudier des sujets de plaines exposés pendant plusieurs jours à de hautes, voire de très hautes altitudes. Nous avons pu montrer des modifications de circulation du sang et de réactivité des vaisseaux. Et même un gonflement du cerveau. Nous avons même pu mettre au point un masque à pression expiratoire positive qui améliore de manière significative l'oxygénation artérielle dans ces conditions difficiles. Avec l'Expédition 5300, nous avons souhaité nous intéresser à une situation jamais encore explorer : la vie à haute altitude.



C'est pourquoi vous avez choisi d'installer, pour plusieurs semaines, votre laboratoire à La Rinconada (Pérou), une ville située dans la cordillère des Andes.

SV : La Rinconada constitue un cas unique d'habitat permanent d'êtres humains au-delà de 5.000 mètres d'altitude. Là, quelque 50.000 hommes, femmes et enfants naissent, grandissent et travaillent en étant exposés en permanence à un taux d’oxygène diminué de 50 %. En France, les patients sont placés sous oxygénothérapie avant même d'en arriver à ce seuil. C'est dire à quel point les conditions de vie à La Rinconada sont extrêmes. Et constituent pour nous un terrain d'étude exceptionnel.



Que savez-vous de ce qui vous attend là-bas ?

SV : Nous sommes la première équipe scientifique à accéder à cette ville et à ces habitants hors normes. Mais grâce à un jeune médecin local, nous avons déjà collecté de premières données cliniques pour en extraire quelques informations intéressantes. Des valeurs d’hématocrite - comprenez le volume occupé par les globules rouges dans le sang - pouvant atteindre les 75 % par exemple, alors qu'une valeur moyenne se situe autour de 40 %, par exemple. En France, de telles valeurs sont considérées comme critiques et immédiatement traitées.

Pour nous, les conditions de travail s'annoncent difficiles. Mais notre équipe est constituée d'une quinzaine de scientifiques que nous savons plutôt tolérants à l'altitude.



Concrètement, comment allez-vous travailler et quels sont vos objectifs ?

SV : Nous nous installons au Pérou pour six semaines - à La Rinconada pour un petit mois - avec un laboratoire éphémère qui nous permettra de procéder à une toute première évaluation génétique, hématologique et cardiovasculaire de cette population. Une caractérisation à échelle multiple - des gènes à l'organisme dans son ensemble, pris dans son environnement - qui, nous l'espérons, mettra en lumière les facteurs d'adaptation à ces conditions extrêmes.

Le tout devrait nous permettre d'abord de proposer, par la suite, une prise en charge médicale adaptée à la population de La Rinconada. Nos résultats devraient également aider les habitants des plaines qui souhaitent voyager en altitude à mieux tolérer ces conditions particulières. Et bien sûr, nos travaux ont pour ambition de faire progresser notre compréhension de toutes ces pathologies déjà évoquées et qui se caractérisent par un manque d'oxygène.




La station de ski de Val Thorens peut être considérée comme la ville la plus haute de France. Elle est établie à quelque 2.300 mètres d’altitude. Et dans le monde, ils ne sont que quelque 140 millions d’habitants à vivre à plus de 2.500 mètres d’altitude. C’est la ville de Cerro de Pasco (Pérou), située à environ 4.200 mètres, qui a donné lieu au plus grand nombre d’études scientifiques sur les difficultés de la vie permanente en altitude. En élevant la barre de plus de 1.000 mètres, l’Expédition 5300 promet de franchir un pas en matière de connaissance sur les effets de l’hypoxie sur l’être humain.