2018-12-08

L'embrasement de la fin








Le cerveau humain est très sensible à la privation d'oxygène. Des lésions étendues et irréversibles se produisent environ 10 minutes après un arrêt cardiaque (et donc circulatoire). Pour la première fois, des chercheurs de la Charité - Universitätsmedizin Berlin et de l'Université de Cincinnati ont pu étudier ces événements chez l'homme.

Les résultats de cette recherche, publiés dans Annals of Neurology*, pourraient éclairer les stratégies de traitement futures en cas d’arrêt cardiaque et d’accident vasculaire cérébral.



La privation d'oxygène entraîne des lésions cérébrales. Depuis des années, les chercheurs étudient les processus sous-jacents chez les animaux: au bout de 20 à 40 secondes, le cerveau entre en «mode économie d’énergie»: il devient électriquement inactif et toute communication interneuronale cesse. En quelques minutes, les réserves de carburant du cerveau se sont épuisées, ce qui maintient la répartition inégale des ions entre l’intérieur et l’extérieur des cellules nerveuses et les gradients ioniques commencent à s’effondrer. Ce claquage prend la forme d’une vague massive d’énergie électrochimique libérant sous forme de chaleur, appelée «dépolarisation généralisée». Plus précisément décrite comme un "tsunami cérébral", cette perte d’énergie se propage dans le cortex et dans d’autres régions du cerveau, déclenchant ainsi des cascades physiopathologiques qui empoisonnent progressivement les cellules nerveuses. Il est important de noter que cette onde reste réversible jusqu'à un certain moment: les cellules nerveuses se rétablissent complètement si la circulation est rétablie avant que ce point soit atteint. Cependant, si la circulation reste perturbée, les cellules mourront. Jusqu'à présent, les enregistrements d'activité cérébrale électrique obtenus de sujets humains avaient une applicabilité limitée, et les experts ont été divisés quant à la transférabilité des résultats de la recherche sur les animaux.



Il est généralement impossible de prendre les mesures appropriées dans les minutes qui suivent immédiatement un accident vasculaire cérébral ou un arrêt cardiaque. Sous la direction du professeur Jens Dreier du Centre de recherche sur les accidents vasculaires cérébraux de la Charité et en collaboration avec le professeur Jed Hartings du département de neurochirurgie de l'Université de Cincinnati, les chercheurs ont pu étudier de tels cas pour la première fois. Leur recherche a été facilitée par une configuration très spécifique. Les techniques spécialisées de neuromonitoring, qui permettent la détection précoce et le traitement ultérieur de complications cliniques, deviennent de plus en plus courantes dans les soins neurocritiques modernes. En particulier, l'électrocorticographie et les méthodes invasives de surveillance de l'oxygène deviennent de plus en plus importantes. Contrairement à l'électroencéphalographie conventionnelle, l'électrocorticographie va au-delà du processus d'enregistrement de l'activité épileptique, permettant aux cliniciens d'enregistrer une dépolarisation en expansion avec une précision jamais vue auparavant. Au cours des dernières années, plusieurs études cliniques internationales ont pu confirmer que, dans de nombreux cas graves de lésions cérébrales aiguës, des dépolarisations se développant se développent dès que l’état du patient s’aggrave. Lorsque cela se produit, le traitement doit cibler les causes sous-jacentes de ce phénomène, afin de limiter sa survenue.



Dans le cadre de leur étude d'observation, les chercheurs ont utilisé une technologie de pointe de neuromonitoring. L’analyse scientifique des données de surveillance et de l’évolution clinique de chaque patient a montré que l’événement appelé «dépolarisation en phase terminale» se produisait également chez l’homme, commençant quelques minutes après un arrêt circulatoire. «Nous avons pu montrer que la dépolarisation en phase terminale est similaire chez l'homme et chez l'animal. Malheureusement, le monde de la recherche ignore ce processus essentiel des lésions du système nerveux central depuis des décennies, en raison de l'hypothèse erronée qu'il ne se produit pas chez l'homme », explique le professeur Dreier. Les raisons en sont principalement de nature méthodologique. 
Rétablir la circulation aussi rapidement que possible a été jusqu’à présent l’unique objectif du traitement chez les patients victimes d’un AVC ou d’un arrêt cardiaque. «La connaissance des processus impliqués dans la propagation de la dépolarisation est fondamentale pour le développement de stratégies de traitement supplémentaires visant à prolonger la survie des cellules nerveuses lorsque la perfusion cérébrale est perturbée», explique le professeur Dreier. Il ajoute: «Cela découle naturellement du principe adopté par Max Planck selon lequel la perspicacité doit précéder l’application; nos idées peuvent nous donner de l'espoir pour l'avenir. "








L'embrasement final cerveau mis lumière l'expérience Jens Dreier est-il l'origine l'apparition intense lumière blanche personnes expérience mort imminente disent vue briller bout d'un mystérieux tunnel? Cela, l'étude dit pas.

L'embrasement final du cerveau mis en lumière par l'expérience de Jens Dreier est-il à l'origine de l'apparition de cette intense lumière blanche que les personnes ayant fait une expérience de mort imminente disent avoir vue briller au bout d'un mystérieux tunnel? Cela, l'étude ne le dit pas. - Julien Coquentin / Hans Lucas

SCIENCES. Une expérience réalisée dans une université berlinoise a permis de visualiser ce qui se passait dans le cerveau d'un mourant au moment fatidique. Et les résultats, inédits, sont étonnants. Cérébralement parlant, la mort est moins une extinction qu'un ultime embrasement électrique.



C'est la grande, la fatidique question : que se passe-t-il dans notre cerveau - et donc dans notre esprit, dans notre conscience - à la minute de notre mort ? La réponse, jusqu'ici, paraissait hors d'atteinte de l'investigation scientifique : personne n'est jamais revenu de l'autre rive pour témoigner de ce qu'il avait vu et ressenti au moment de passer de vie à trépas.

Certes, il y a bien ces récits troublants recueillis sur les lèvres de celles et ceux qui ont frôlé la mort de près. Regroupés sous l'appellation d'« expériences de mort imminente » (EMI), ils sont pris très au sérieux par une partie de la communauté des neuroscientifiques qui les répertorie et les décortique, comme le fait l'équipe du Coma Science Group à l'université de Liège (lire ci-dessous).



Mais, par définition, les survivants dont l'expérience a été reconnue comme authentique EMI après évaluation sur l'échelle de Greyson (du nom du psychiatre américain Bruce Greyson, qui l'a proposée en 1983) ont échappé à la mort. Ils n'en ont vu que l'ombre. La mort elle-même et ce qu'elle provoque dans le cerveau du mourant demeurent entièrement nimbés de mystère. Du moins était-ce le cas jusqu'à cette année...

Dans une étude publiée par la revue « Annals of Neurology » qui a fait sensation - mais que la presse française a peu relayée, à l'exception du magazine « Science et Vie » -, le professeur en neurologie expérimentale à l'université Charité de Berlin, Jens Dreier, détaille l'expérience extraordinaire à laquelle son équipe et lui se sont livrés sur neuf patients. Ces neuf personnes, toutes entrées en soins intensifs à la suite de blessures cérébrales, faisaient l'objet d'un monitorage neurologique lourd, plus invasif qu'un simple électroencéphalogramme.


« Il s'agit d'une technique non conventionnelle, qui permet d'enregistrer l'activité électrique du cerveau, y compris à de très basses fréquences, de l'ordre de 0,01 hertz », explique Stéphane Marinesco, responsable du Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Les basses fréquences émises par le cerveau ont du mal à traverser le scalp, ce qui les rend indétectables aux appareils d'électroencéphalogramme dont les électrodes sont placées sur le cuir chevelu. Dans le système de monitorage dont étaient équipés les patients du service du Pr Dreier, les électrodes étaient placées à l'intérieur du crâne, et même sous la dure-mère, cette membrane rigide qui entoure le cerveau et la moelle épinière.



Cet accès aux très basses fréquences, correspondant à une activité électrique lente, a été la fenêtre qui a permis à Jens Dreier et son équipe de visualiser ce qui se passait dans le cerveau de personnes en train de mourir. Pour leur expérience, les neuroscientifiques allemands ont simplement demandé aux familles, une fois devenu évident que le patient ne survivrait pas à son accident, l'autorisation de poursuivre l'enregistrement jusqu'au bout. Et même un peu au-delà du « bout », c'est-à-dire de la mort cérébrale, ce moment à partir duquel un classique électroencéphalogramme n'enregistre plus aucune activité cérébrale et que l'Organisation mondiale de la santé considère comme le critère médico-légal du décès.

Une vague de dépolarisation



Qu'ont montré les enregistrements réalisés à la Charité de Berlin ? Quelque chose de tout à fait fascinant, jusque-là inédit, et qui devrait peut-être amener les spécialistes à reconsidérer leur définition du décès et de son moment exact. Ce phénomène cérébral, indique l'étude, survient entre 2 et 5 minutes après l'ischémie, moment où les organes (dont le cerveau) ne sont plus alimentés en sang et donc en oxygène. Et il dure lui-même une petite dizaine de minutes. On peut l'assimiler à une sorte d'incendie électrique qui s'allume à un bout du cerveau et, de là, se propage à la vitesse de 50 microns par seconde dans tout l'encéphale avant de s'éteindre à l'autre bout, son oeuvre de destruction accomplie. Les neuroscientifiques parlent de « vague de dépolarisation ».



Pour maintenir le « potentiel de membrane » qui lui permet de communiquer avec ses voisins sous forme d'influx nerveux (lire ci-contre), un neurone a besoin d'énergie. Et donc d'être irrigué en permanence par le sang venu des artères qui lui apporte l'oxygène indispensable à la production de cette énergie sous forme d'adénosine triphosphate (ATP). Tout le travail de Jens Dreier a consisté à observer ce qui se passait pour les neurones une fois que, le coeur ayant cessé de battre et la pression artérielle étant tombée à zéro, ils n'étaient plus alimentés en oxygène.



« L'étude a montré que les neurones se mettaient alors en mode 'économie d'énergie' », commente Stéphane Marinesco. Pendant les 2 à 5 minutes séparant l'ischémie de l'apparition de la vague de dépolarisation, ils puisent dans leurs réserves d'ATP pour maintenir leur potentiel de membrane. Pendant cette phase intermédiaire, au cours de laquelle le cerveau est littéralement entre la vie et la mort, celui-ci ne subit encore aucune lésion irréversible : si l'apport en oxygène venait à être rétabli, il pourrait se remettre à fonctionner sans dommages majeurs.


Réaction en chaîne



Mais cette résistance héroïque des cellules nerveuses a ses limites. A un moment donné, en l'un ou l'autre endroit du cerveau, un premier neurone « craque », c'est-à-dire qu'il dépolarise. Les stocks de potassium qui lui permettaient de maintenir son potentiel de membrane étant devenus inutiles, il les largue dans le milieu extra-cellulaire. Il agit de même avec ses stocks de glutamate, le principal neurotransmetteur excitateur du cerveau.



Mais, ce faisant, ce premier neurone initie une redoutable réaction en chaîne : le potassium et le glutamate par lui libérés atteignent un neurone voisin dont ils provoquent aussitôt la dépolarisation ; à son tour, ce deuxième neurone relâche ses stocks et provoque la dépolarisation d'un troisième, etc. Ainsi apparaît et se propage la vague de dépolarisation, correspondant à l'activité électrique lente enregistrée par le système de monitorage spécifique utilisé à la Charité de Berlin. Le « bouquet final » du cerveau sur le point de s'éteindre définitivement.


Il est d'autres circonstances de la vie où l'on observe des vagues de dépolarisation, un peu différentes en ceci qu'elles ne sont pas, comme ici, irréversibles. C'est notamment le cas dans les migraines avec aura, naguère appelées migraines ophtalmiques, car elles s'accompagnent de symptômes visuels qui peuvent être de simples distorsions du champ visuel, mais aussi, parfois, l'apparition de taches lumineuses, voire de véritables hallucinations assez similaires à celles rapportées dans les EMI.



L'embrasement final du cerveau mis en lumière par l'expérience de Jens Dreier est-il à l'origine de l'apparition de cette intense lumière blanche que les personnes ayant fait une expérience de mort imminente disent avoir vue briller au bout d'un mystérieux tunnel ? Cela, l'étude ne le dit pas. Mais l'hypothèse ne paraît pas indéfendable.

Le mystère des expériences de mort imminente
A l'université de Liège, l'équipe du Coma Science Group a constitué une base de données de plus de 1.600 récits d'expériences de mort imminente (EMI). Sur ce corpus, elle en a passé au crible 154. Cette étude qualitative publiée l'an dernier révélait que presque aucun récit ne ressemblait à un autre sur le plan de la chronologie des événements, même si des composantes communes existent bien. La plus récurrente est la sensation de bien-être et de paix (présente dans 80 % des récits d'EMI), devant la perception d'une lumière brillante (69 %), la rencontre avec des défunts ou des êtres mystiques (64 %) et le sentiment de décorporation (53 %).
Il y a seize ans, un neuroscientifique suisse avait déclenché involontairement, chez une patiente épileptique, une telle illusion de sortie du corps en stimulant le gyrus angulaire de sa jonction temporo-pariétale droite. La vague de dépolarisation qui, au seuil de la mort, vient exciter une ultime fois tout l'encéphale - y compris cette zone bien précise - est-elle à l'origine des expériences de décorporation rapportées dans les EMI ?

Le fonctionnement électrochimique du neurone

Dans tout neurone vivant, il existe une différence de potentiel électrique entre les faces externe et interne de sa membrane.
Cette différence de potentiel, appelée potentiel de membrane, est due à la présence, sur la face externe, d'espèces chimiques chargées positivement et, sur la face interne, d'espèces chimiques chargées négativement. Ces espèces chimiques sont des ions, principalement des ions de potassium.
La circulation des ions de potassium de part et d'autre de la membrane du neurone, via les canaux ioniques, permet de faire fluctuer la valeur du potentiel de membrane.
Lorsque ce potentiel de membrane passe d'une valeur négative, dite « de repos », à une valeur positive, correspondant à un état d'excitation, on dit que ce neurone dépolarise.
 Ce mécanisme électrochimique est ce qui permet aux neurones de communiquer avec leurs voisins sous forme d'influx nerveux.