2016-12-22

1999-2014 : plus de 270 accidents rapportés dans la presse britannique

et examinés par les cours de justice des coroners



Colloque international organisé par l'Apeas et la MAE les 6 et 7 octobre 2014
Jeux dangereux, violence et harcèlement - Savoir, Comprendre, Prévenir*







Translation in English ici.


Il est question ici d'une certaine catégorie de victimes, de ces jeunes qui font une expérience en solitaire et parfois n’en reviennent pas. Le mot expérience est employé à dessein, car il est clair qu’ils ne jouent pas. En groupe, l’objectif est de rire quand on voit un copain s'évanouir, en solitaire c’est tout le contraire, l’objectif est précisément de ne pas s’évanouir. Si tous les policiers appelés sur les scènes de crime le savaient, ils détecteraient plus facilement les indices (parfois un dispositif) montrant que l'évanouissement, mortifère, était redouté.

Comment ont été glanées les données sur ces jeunes qui ne jouaient pas, ici limitées à l'année 2008?  À travers la presse britannique, et en particulier les Red Tops, toujours affamés de faits-divers singuliers, qui rapportent les audiences des coroners, incontournables en cas de mort non naturelle. Depuis le tournant du siècle ces articles sont publiés sur la Toile. 
Au Royaume-Uni le jeu du foulard est pratiquement inconnu, autrement dit n'existe pas, aussi la presse populaire ne craint-elle pas de violer un tabou lorsqu'elle rapporte qu'un jeune a été trouvé mort par pendaison : qui aurait l'idée de penser que peut-être il ne voulait pas mourir et que son acte n'était pas suicidaire ? 
La mémoire des médias est malheureusement fort courte car la pratique du fainting game fut relayée par bien des journaux en 1999 lorsqu'un de ses camarades trouva Nicholas Taylor une ceinture autour du cou et l'autre extrémité attachée à la poignée de la porte de sa chambre à Eaton, pépinière des élites britanniques. 
Ce drame, qui secoua d'incrédulité ceux qui le vécurent, fit dire à Robert Wilson, coroner de l'East Berkshire, qu'après avoir siégé dans cette cour de justice pendant 28 ans il pensait avoir tout entendu et se demandait à quel point il avait été naïf de ne pas imaginer que la strangulation pouvait avoir été pratiquée parmi des garçons qui étaient la crème de la crème de la société britannique et probablement d'une intelligence supérieure à la moyenne. Robert Wilson émit un verdict de mésaventure. Personne ne fut capable de répondre à la question qui désormais le hanta : pourquoi ?
L'affaire étant plus que dérangeante, on convint que le cas était exceptionnel et s'expliquait par la seule imagination prolifique des brillants Eatoniens.

Le recueil de données s'est donc effectué de manière empirique via l'introduction de mots-clefs pertinents dans la fonction "alerte" du moteur de recherche : found hanging, narrative verdict, misadventure, chocking game, prank, bunk bed, belt, etc. Google envoie par courriel tous les articles où ces mots-clefs sont présents. Ont été ainsi relevés environ 270 cas entre 1999 et 2014, un chiffre qui bien entendu ne saurait être exhaustif. Jusqu'en 2004-2005 quelques tabloïds comme le Daily Mail et Evening Standard publiaient sur la Toile, l'impact du semi-tabloïd Telegraph, du Guardian et de BBC News étant encore discret.




Au Royaume-Uni quand surgit un décès inexpliqué, sans cause apparente, anticipée ou naturelle, bien que ce non naturel ne soit pas légalement défini, un coroner est désigné et une enquête est menée sous sa direction. Ces officiers de justice nommés par les autorités locales sont la plupart du temps des avocats, parfois des médecins, avec au moins 5 ans d’expérience. Ils ne sont jamais coroners à plein temps, c’est une activité sporadique, qui se déroule en marge de leur activité professionnelle.
Les coroners sont dotés de tribunaux spéciaux, en marge de la Common Law. Cette procédure accusatoire des pays anglo-saxons implique que le requérant et le défendant établissent chacun de leur côté, avec leurs avocats respectifs, une version des faits, le juge et les jurés optant pour le meilleur, le plus convaincant des deux récits. En France et dans d’autres pays européens à procédure inquisitoire, un juge est chargé d'une instruction au terme de laquelle il décide de poursuivre ou non, suivant les éléments probants qu’il a recueillis. C'est de cette manière que procèdent les coroners. Ils se comportent comme des magistrats instructeurs, interrogent les témoins, les amis, la famille, enquêtent sur les activités de la victime, cherchent à savoir comment elle percevait le monde et comment le monde la percevait, afin d'établir ce qui s’est passé et être au plus près de ce qui est arrivé. Mais l'objectif du coroner est de mettre au jour des faits et non des fautes. Il existe en France, à l'état embryonnaire, une démarche comparable réservée au suicide, l'autopsie psychologique
 
L'enquête de coroner, qui est publique, dure en général plusieurs mois et se conclut par une audience où tout le monde est invité à comparaître. Le parcours de vie de la victime est retracé, le coroner peut autoriser les proches à interroger les témoins. Personne n'est incriminé et le verdict, la décision finale, n’est pas sans recours. Il est rare toutefois qu'il soit fait appel. Symboliquement une page est tournée, socialement le tissu déchiré est recousu, marquant les esprits d'une sorte de sérénité pérenne.

Au cours de l'année 2008, au Royaume-Uni, 16 filles (4(1)–20, médiane 15/16 ans, 13 cas) et 25 garçons (8–25(1), médiane 13/14 ans, 16 cas) semblent avoir succombé en raison de pratiques recherchant l'hypoxie. Rien ne corrobore que la prépondérance "masculine" soit autre chose qu'une spéculation, certaines indications donnent à penser que les filles pourraient être plus prudentes.

Douze garçons (8–13) sont morts lors d'un tragique accident, d'un jeu qui a mal tourné, par imitation ou mystérieusement. À propos de Joshua (8) le coroner Andre Rebello, contrairement à la presse qui parle de suicide, émet un verdict de mésaventure parce que la victime s’est mise elle-même dans cette situation sans que rien n’indique qu’il se soit ôté volontairement la vie. Le verdict concernant Sam (13) est narratif, une sorte de verdict par défaut prononcé quand ne sait pas bien ce qui s’est passé tout en étant sûr que ce n’est pas un suicide. Le coroner Alan Crickmore décrit sans expliquer ni tirer de conclusion car il ne peut déterminer si les actions de la victime ont été délibérées ou expérimentales. Toutefois ses paroles donnent à penser que le coroner croit savoir ce que Sam a fait. Cette enquête a duré plus d’un an et les parents, c’est absolument exceptionnel, se sont opposés au verdict. Ils ont ensuite fait campagne, persuadés, ou voulant le croire, que le harcèlement avait poussé leur enfant au suicide, bien que les enquêteurs n'aient rien trouvé à l'appui de cette hypothèse.
Il arrive, comme dans le cas de Jordan (13), que le coroner Nigel Chapman (un médecin) soit singulièrement assez explicite – les éléments de preuve dont nous disposons indiquent qu'il s'est livré à un jeu qui a mal tourné –, bien que la qualification du jeu se réduise sans plus de détails au fait qu'il a mal tourné.
D'une manière générale, il n'y a pas de commune mesure entre les propos des coroners, parfois sibyllins comme pour ménager tout en mettant en garde, et les titres de la presse où le mot d'ordre n'est pas la conformité à la réalité, mais le spectaculaire. 
 
Parmi les treize garçons de 14–24(1) censés s'être supprimés parce que l'amie était loin, à cause d'une épidémie de suicides, en raison d'un harcèlement (non confirmé) ou incompréhensiblement, le coroner Thomas récuse explicitement l'hypothèse d'un suicide dans le cas de Rupert (14), tandis que la presse explique le drame par le renvoi du père, une personnalité de la BBC, huit mois auparavant. Le coroner observe simplement que 14 ans, c’est un peu jeune pour anticiper les conséquences de certaines actions.
La presse titre que Ryan (17) venait d’entrer dans un mur avec l’auto de son grand-père, et conclut, comme si cela était dans l'ordre des choses, qu'il a enroulé une laisse autour de son cou et l'a accrochée à la poignée d’une fenêtre. Sans ambages le coroner David Hinchliffe déclare ignorer si ce décès est lié ou non à la voiture mais remarque que quelque chose avait manifestement mis Ryan hors de lui. Et d'ajouter à son verdict de mésaventure cette déclaration qui en dit long et révèle qu'il n'est pas dupe : il est possible que, comme beaucoup d’autres, il n’ait pas réalisé que si l'on exerce une pression sur le cou, on tombe dans l’inconscience en quelques secondes et au-delà de tout secours en quelques minutes.

Du côté des quatre filles de 4(1)–13, victimes par accident, du fait de harcèlement (non corroboré) ou malgré une extrême popularité, il y a le cas de Hannah (13) dont le décès est attribué à une variante du mouvement gothique (addiction pour la tendance Emo, premières lettres du mot emotional). Malgré l'absence d'écrit évoquant le geste, élément suffisant pour faire douter du suicide, le coroner Roger Sykes considère que cette très jeune fille s'est infligé la mort. J'ai toutefois retenu ce cas car le moyen employé (la cravate d'uniforme attachée au lit superposé) est l'un des plus courants dans l'expérience en solitaire.
Paige (4) avait fait exactement la même chose la veille, elle avait attaché un ruban à un hamac accroché à son lit superposé, son père l'avait trouvée à demi étranglée et avait coupé le ruban, croyant à un geste maladroit. Compte tenu de l'âge de la victime et bien que l'enfant ait semblé savoir ce qu'elle faisait, la coroner Rachel Redman a la prudence de conclure à un accident.
Parmi les douze filles de 14–19, dont les médias justifient la mort par la trahison ou le silence du copain, un épisode de somnambulisme, ou encore le mimétisme, le cas d'Emily (15), malheureuse, selon la presse, à cause de la séparation de ses parents, illustre ce qu’est un verdict ouvert. Le suicide n'est pas exclu, mais l'intention de mourir n’a pas été exprimée. Le coroner Andrew Bradley déclare qu’il lui est difficile de concilier l’idée de la mort d’une adolescente de 15 ans et le suicide. Emily était en pension. Sa mère s'indigne qu’on ne l’ait pas surveillée tous les quarts d’heure, ce à quoi le coroner répond qu'il ne partage pas son avis.
Le cas de Georja (15) est troublant, car cette jeune athlète pré-olympique venait juste de remporter une médaille d’or. Selon le coroner Christopher Johnson, la mort a résulté d’une suspension effectuée par la victime, mais il émet prudemment un verdict narratif, l’intention restant obscure.
À Bridgend, au sud du pays de Galles, une mystérieuse série de (25) décès par semi-suspension inquiéta la population entre 2007 et 2008. Là encore on remarque la prudence du coroner Andrew Haigh qui prononce à propos Jenna (16) et de Natasha (18) un verdict narratif, ce verdict qui exclut le suicide et indique que l'acte n'a pas été accidentel, mais qu'il n'a pas été possible de déterminer ce qui l'a motivé.

Le principe régulateur des enquêtes du coroner exige en effet d'établir au-delà de tout doute raisonnable que la victime connaissait et désirait les conséquences de ses actes. 


Honi soit qui mal y pense (devise en anglo-normand de l'Ordre de la Jarretière, l'ordre le plus important de la chevalerie britannique - Dieu et Mon Droit

*Les actes du colloque ont été publiés chez l'Harmattan





2016-12-12

Mythes, rites et réalité de l'hypoxie (2)


début ici




Que peuvent nous apprendre d'autres lieux, d'autres temps ? 
Plutarque rapporte comment les jeunes filles de Milet furent saisies un jour, sans motif connu, sans justification aucune, de la manie bizarre de se pendre.

Moralia  : Actions courageuses et vertueuses des femmes, chapitre 19

On accusa des pestilences répandues dans l'air qui auraient subitement troublé leur raison. Pourquoi leur raison et non celle des autres habitants ? Peu importait la logique, il fallait une explication et la pollution de l'air a depuis toujours été considérée comme source de maladies. Les pendaisons se succédaient sans qu'il fût possible de remédier à cette mode surprenante. Jusqu'au jour où l'on s'avisa de décréter que toute fille qui se pendrait serait exposée nue sur la place publique, avec le lien dont elle se serait servie. Cette méthode de prévention se révéla aussi clairvoyante qu'efficace car les pendaisons cessèrent aussitôt, la pudeur post-mortem l'emportant sur un désir de mort qui tout de même ne semble guère plausible. Bien que Plutarque considère le désistement des jeunes filles comme une marque de noblesse et de mérite, on a du mal à souscrire à l'idée de contagion suicidaire tant ce qui était lié à la mort dans la Grèce antique était cause de souillure pour la maison et la famille du défunt et exigeait toutes sortes de rituels de purification.

Au musée d'anthropologie de Mexico on peut voir une statue de pierre précolombienne représentant un adolescent nu, une corde enroulée autour du cou. Des cicatrices sont visibles sur ses joues et son front, ce sont des ornements faciaux. Son pénis en érection est en partie cassé. La statue date du Xème siècle de notre ère et indique que les Mayas associaient l'hypoxie à la sexualité. Par ailleurs ils croyaient que les âmes de ceux qui se pendent eux-mêmes allaient directement rejoindre Ixtab, étonnante déesse des pendus représentée agenouillée, une corde entourant son cou, les chevilles liées (Codex de Dresde). 

L'adolescent de Cumpich, ici exposé au Musée du Quai de Branly


Le psychiatre Harvey Resnick, qui décrit la suffocation comme faisant partie des jeux des enfants Shoshone-Bannock, Indiens du nord-ouest des EU, cite plusieurs anthropologues ayant observé les strangulations sexuelles des enfants Inuits à l'occasion des grands rassemblements tribaux tandis que les adultes dansent et chantent (op. cit.). Un missionnaire/explorateur – qui vécut de 1937 à 1949 chez les Krangmalit, des Eskimos de l'Arctique central canadien –
De Coccola R et  King P –  The Incredible Eskimo: Life Among the BarrenLand Eskimo, 1986

est témoin d'un accident : un garçon grand et mince de 12 ans avait grimpé sur un bloc de neige fraîche pour placer sa tête dans l'anse d'une lanière fixée au sommet de l'igloo. Il avait les mains liées. Ses pieds tassaient la neige pour serrer lentement mais sûrement le lien de cuir autour de son cou tandis qu'un jeune spectateur manipulait ses organes génitaux. L'annonce soudaine de l'arrivée d'un traîneau attira les enfants au dehors tandis que la neige, en train de fondre, s'affaissait lentement sous les pieds d'Attiguyok.
Il n'y a aucune preuve suggérant que la compression des carotides, qui suscite une hypoxie cérébrale et cause une hypercapnie relative, pourrait produire autre chose qu'une sensation d'étourdissement et peut-être une sensation de fourmillement dans les extrémités. Il n'y a aucune preuve que la pendaison puisse produire une érection ou une excitation sexuelle. Il est malheureux que cette pratique continue et se solde par des morts tragiques, répondit le psychiatre Barry D. Garfinkel à une consoeur étonnée des pratiques des enfants Inuits. In Journal of Amer Academy of Child & Adolescent Psychiatry : Jan 1989 - Vol 28-1 - pp 137-138


Directeur de l'institut de médecine légale de Vienne, Leopold Breitenecker (1902-1981), observe aussi que les Inuits et les peuples du Sud-est asiatique ont en commun la pression sur le cou au cours de l'activité sexuelle et qu'il y a un danger de mort si l'un des partenaires a une hypersensibilité du sinus carotidien. Cette pratique, selon lui, aurait été importée en Europe et en Afrique par la légion étrangère française qui avait séjourné en Indochine. 


Curiosités de l'histoire forensique 
Le pathologiste et écrivain à ses heures William B. Ober, amateur de puzzles médicaux, d'étrangetés et de fonds de bibliothèque empoussiérés, raconte deux histoires d'hypoxiphilie probable. 

Pierre Antoine Motteux

Dans la première Pierre Antoine Motteux, huguenot émigré à Londres à la révocation de l'Édit de Nantes et écrivain, était marié et avait trois enfants lorsqu'il mourut en de mystérieuses circonstances en 1718 le jour de son 55è anniversaire.
Bien qu'il ait publié le premier magazine pour gentlemen, initiative qui lui valut plus de popularité que d'argent, c'est à deux traductions qu'il doit d'être entré dans l'histoire : Il acheva en effet et publia la traduction de Rabelais entreprise par l'Ecossais Urquarth et traduisit le Don Quichotte de Cervantes.
Parti acquérir des billets pour un bal, il fit affaire, selon des témoins, avec une certaine Mary Roberts mais, curieusement, il la laissa dans un fiacre pendant deux heures, temps qu'il passa dans une maison de dégustation de chocolat. Appréhendait-il ce qui allait suivre ? Lui fallait-il se donner quelque courage ? Un voisin le vit entrer dans une maison de passe avec sa compagne et se réchauffer devant une cheminée. Il n'avait pas l'air malade. Peu après minuit un apothicaire fut appelé qui, fâché d'avoir été sorti du lit, se limita à constater la mort. Le lendemain matin une servante remarqua un sillon bleuâtre autour du cou de Motteux. Une enquête eut lieu, un verdict d'homicide volontaire fut émis, la tenancière et ses comparses (un proxénète et des prostituées) furent accusés. Mais Mary Roberts prétendit que Motteux était malade et les hommes argumentèrent qu'ils l'avaient emporté inconscient dans la maison. Ce discours, que démentait cependant maints témoignages, fut suffisant pour les acquitter. Le biographe de Motteux découvrit une annotation sans date ni signature indiquant que celui-ci avait été strangulé à des fins sexuelles et que les prostituées avaient oublié de couper la corde. 
Cette histoire ne serait qu'une anecdote douteuse si une autre affaire de strangulation sexuelle n'était venue, soixante-dix ans plus tard, à Londres encore, lui conférer quelque vraisemblance. 
Le compositeur tchèque Franz Kotzwara,
Compositeur (connu notamment pour ses compositions "à la manière de") et interprète (en particulier contrebassiste) il fut l'élève de Jean-Chrétien Bach et était alors âgé de 40 ans.
dîna dans une maison malfamée en compagnie d'une prostituée, Susannah Hill, à qui, après quelques activités décrites comme indécentes, il demanda de lui couper les organes génitaux. Elle refusa, mais accepta de l'assister dans une expérience de strangulation. Elle passa une corde autour du cou de Kotzwara ; celui-ci l'attacha à la poignée d'une porte puis plia lentement les genoux. Cinq minutes plus tard, quand la corde fut coupée comme prévu, Franz s'affaissa. Un chirurgien essaya de le saigner, bien qu'il fut bel et bien mort. Susannah Hill fut arrêtée pour meurtre, mais acquittée, peut-être parce que le juge ne mit pas en doute un témoignage aussi extraordinaire. Toute trace du procès fut détruite afin d'éviter un scandale public.
Toutefois, comme de bien entendu, une copie secrète fut conservée, qui se trouve à la bibliothèque de médecine de Boston. Les précautions n'empêchèrent pas l'affaire de s'ébruiter. Un an plus tard parut une brochure anonyme intitulée "Propensions modernes, un essai sur l'art de la strangulation" –  46 pages, dont les 29 premières s'interrogent sur les effets putatifs de la pendaison sur la physiologie et les 7 dernières concernent le jugement de Susannah Hill.
Plus tard on suggéra de baptiser comme "Kotzwara" la suspension à fin sexuelle, en vain, peut-être parce que cette activité, en France, était en train d'acquérir ses lettres d'infamie, si l'on peut dire.

Franz Kozwara


Que nous apprend la littérature ? 
Quelques mois avant la mort de Franz Kotzwara, le marquis de Sade, que la révolution avait arraché à Charenton, avait publié la seconde version des "Infortunes de la vertu" dont un épisode prétend établir le mythe de l'érection du pendu. Le chef de bande Roland sait que tôt ou tard il sera pris et que son destin alors sera la potence. Il s'agit donc de contourner la menace en apprenant à en tirer du plaisir. Aussi demande-t-il à Thérèse de l'aider à découvrir les sensations de la pendaison : Une fois persuadé que cette mort n’est qu’un jeu, dit-il, je la braverai bien plus courageusement, car ce n’est pas la cessation de mon existence qui m’effraie mais... je ne voudrais pas souffrir en mourant. Thérèse est donc chargée de nouer la corde, de retirer le tabouret et de détacher Roland sur le champ en cas de signe de douleur. Ainsi est fait, Thérèse, ébahie, décrit le plaisir qui se peint sur le visage de Roland et les jets de semence qui s'élancèrent à la voûte. Roland tombe évanoui, Thérèse à force de soins lui fait reprendre ses sens, et Roland en ouvrant les yeux déclare Ah Thérèse on ne se figure point ces sensations, elles sont au-dessus de tout ce qu'on peut dire, qu'on fasse maintenant de moi ce que l'on voudra. Subversion de la morale et triomphe absolu du vice : le châtiment octroyé par la vertu n'est finalement que le plus grand des plaisirs. 
Une autre pendaison érotique est décrite dans le très populaire "Gamiani ou deux nuits d'excès" attribué à Alfred de Musset et paru en 1833.
Louis Ulbach, romancier et journaliste à la verve mordante, raconte comment un médecin anglais avait obtenu l'autorisation de faire transporter dans son laboratoire les corps encore chauds des suppliciés à des fins expérimentales (Le Progrès Illustré 1891). Un jour, après avoir ouvert le muscle sterno-claviculaire, il fut interrompu par une demande de consultation. L'air qui s'était introduit par l'ouverture fit tressaillir le pendu qui revint à lui. Quand le docteur rentra dans le cabinet, son sujet d'observation s'employa à aiguiser sa curiosité afin de le convaincre de ne point le livrer. Il avait de curieuses révélations à faire : la pendaison était l'ivresse du ciel avec des tiraillements infernaux. Le docteur médita quelques minutes et déclara au pendu que leur fortune était assurée. Telle serait l'origine d'un lieu, historique ou mythique, à l'usage des gens blasés : le "Club des pendus" londonien. On les accrochait pendant quelque temps et, grâce sans doute à une forte congestion, ils goûtaient une émotion délicieuse tandis que le docteur comptait exactement les minutes et les pulsations afin qu'au moment précis où le danger de mort commençait, l'ancien pendu puisse couper la corde permettant au client de revenir à la réalité.
L'histoire ne s'arrête pas là. Louis Ulbach conclut sa chronique par une allusion au prince de Condé dont la mort mystérieuse fit couler beaucoup d'encre. Il est sans doute le premier à l'avoir qualifiée, pudiquement, de "mort à la suite d'un innocent essai de plaisir" par manque de décrochement.
William Burroughs fait de la muse de la strangulation, la déesse Ixtab des Mayas, une figure de roman (Villes de la nuit rouge, 1981), sans que du reste la déesse n'étende son patronage au sexe faible. Pure ode à la fascination érotique exercée par la mort par pendaison, l'éternelle histoire (cf. "Le festin nu") est racontée de diverses manières. Parfois la scène se situe sur un bateau pirate, parfois un détective enquête sur la pendaison et la décapitation de jeunes victimes extrêmement séduisantes. Parfois dans un récit de science fiction les âmes transmigrent dans une utopie de strangulation : Avec le temps, écrit Burroughs, la mort naturelle devint un événement rare et assez discrédité. On se souvient de la description dantesque que fait Joyce de la violente érection qui suit la pendaison de Croppy Boy, le rebelle irlandais, les femmes se précipitant pour éponger avec leurs mouchoirs. Bloom explique scientifiquement pourquoi l'exécution par pendaison suscite une érection sexuelle (Ulysse, 1922). Herman Melville décrit une pendaison érotisée dans Billy Budd (1891), pour ne rien dire de Vladimir et Estragon se questionnant sur les manières d'étancher leur ennui en attendant Godot et décidant de se pendre pour avoir une érection (Samuel Beckett, 1952).

Mise en scène de Roger Blin (1953)


Qu'ont à dire les mythes ?
Nous sommes au 4è millénaire avant notre ère et à Sumer. Innana, la déesse de l'amour (Eros), l'Ishtar des Assyriens et des Babyloniens, l'Isis des Égyptiens, l'Astarté qui régit la vie et la mort, archétype peut-être d'Aphrodite/Vénus, entreprend une étrange descente vers le monde des morts dont elle franchit les sept portes en ôtant une à une ses parures. Une fois nue, Innana, dont l'aspect est hermaphrodite, est mise à mort, pendue à un crochet. Deux êtres trans-sexuels, ni masculins ni féminins, la ramèneront à la vie. 

Cet épisode d'épreuves et de désagrégation afin d'obtenir un savoir transformateur ou capable de transformer le monde n'est pas sans préfigurer les épreuves auxquelles se soumet le nordique Odin 
Odin, qui domine les dieux, c'est le Wotan de l'Anneau du Nibelung, le Wodan anglais qui a donné Wednesday, comme du reste Freia a donné Friday, notre vendredi, jour de Vénus et chez les Grecs jour d'Aphrodite.
qui se pend à un arbre, par le pied donc la tête en bas, pendant 9 jours et 9 nuits sans boire ni manger afin d'interpréter ces mystérieuses inscriptions de la saga scandinave, les runes. Cette manière inversée de se pendre, que l'on retrouve du reste sur la carte du pendu dans le tarot, suggère que l'on pourrait tout aussi bien voir le monde à l'envers et que les choses ne sont peut-être pas ce qu'elles semblent être. Odin s'était auparavant arraché l’œil droit, geste de renoncement à la lumière, à la vue matérielle, pour s'abreuver à la fontaine de la sagesse universelle et de la connaissance infinie et avait planté sa lance dans son flanc, mort initiatique qui l'apparente singulièrement aux shamans.


Le mythe de la mandragore, qui a inspiré les romantiques allemands, habite la figure centrale du roman gothique de Hanns Heinz Ewers, sorte de version féminine du mythe de Prométhée (Alraune - Die Geschichte eines lebenden Wesens, "l'histoire d'un être vivant", 1911).

Ainsi procèdent les mythes, ils se nourrissent les uns des autres et s'agrègent autour d'une matrice généralement associée à une idée du temps cyclique, à la destruction comme instrument de renaissance, au désordre comme facteur de recommencement. Aussi belle que la créature de Frankenstein est hideuse, Alraune est procréée sans acte sexuel, par un savant-fou qu'inspire la légende de la mandragore : issue d'une prostituée représentant la terre ensemencée par un forban pendu, tissée de part en part de duplicité, androgyne, équivoque, créature à la fois vénéneuse et innocente, elle prospère dans un monde décadent. L'impossibilité de l'amour, la découverte de son engendrement la feront finalement se retourner contre son créateur.


Dès la Genèse
Selon la légende, telle que la rapporte Flavius Josèphe (environ 37-environ 100, La guerre des Juifs, livre VII), il est périlleux de cueillir la mandragore. Or celle-ci est dotée de mille vertus. Aussi y attache-t-on une corde dont l'autre extrémité est passée autour du cou d'un chien. Lorsque le chien s’élance pour suivre celui qui l’a attaché, la racine est facilement extraite ; mais le chien meurt aussitôt, comme s'il payait de sa vie celle de celui qui désirait la plante. Il est probable que cette plante étonnante est celle dont Ruben, premier né de Jacob, cueille les fruits qu'il apporte à Léa, sa mère. Rachel, épouse chérie mais stérile, demande ces pommes de mandragore aux qualités aphrodisiaques.
Genèse 30, 14-15, duda'im. Le  mot hébreu pour mandragore est formé sur la même racine que le mot "amour". 
En échange Lea dormira avec Jacob cette nuit-là. Dans le bestiaire d'Aberdeen, c'est de la mandragore que provient le fruit, aiguiseur d'intelligence, offert par Ève au premier homme : "Alors elle devint enceinte, et c’est pour cette raison qu’ils quittèrent le Paradis". Selon les cabalistes, Adam, séparé d'Ève, aurait engendré la première mandragore au cours d'un rêve érotique, idée reprise par maintes légendes talmudiques qui développent le thème des "étincelles de hasard". Ainsi sont nommées les gouttes de sperme répandues involontairement, d'où naissent des esprits informes.



Sens et sensations
Prenons-nous suffisamment en compte le besoin irrépressible que l'homme ressent d’échapper à l’ordinaire d'un quotidien dont il perçoit la routine comme une forme d'aliénation ? Comment sommes-nous en train d'évoluer ? Nos sociétés hyper-modernes ne cessent de surenchérir sur les techniques, les substances euphorisantes, les fantasmes dispensés par une foison d'images.  Allons-nous vers plus de sens ou vers un afflux de sensations ? Trop de sensations pourraient-elles tuer la sensation ?

L'éthique toutefois risquerait d'être violente dès lors que, pour formuler des prescriptions universelles, elle s'arrogerait le droit de dépasser le contexte singulier dans lequel se trouve placée chaque existence.


Go, go, go, said the bird: human kind
Cannot bear very much reality.
Time past and time future
What might have been and what has been
Point to one end, which is always present.
T.S. Eliot – Burnt Norton













Mythes, rites et réalité de l'hypoxie (1)




Hypoxie, euphorie et érotisme :

 mythe, rite et réalité


Communication destinée au Premier Colloque International "Jeu du foulard et autres jeux d'évanouissement - pratiques, conséquences et prévention", organisé par l'APEAS, Ministère de la Santé, Paris - 3 et 4 décembre 2009 
Le temps étant compté et le colloque ayant pris du retard, l'intervention s'est limitée à quelques points, évidemment décousus.  
Ce texte est donc inédit, c'est un autre, plus court mais aussi sur l'hypoxiphilie, qui a été inclus dans les Actes du Colloque.






Nord de l'Europe à l'Âge du fer

Au printemps 1950, près de Tollund au Danemark, deux frères découvrirent dans une tourbière le corps d'un homme d'une trentaine d'années. Il était en si parfait état qu'ils appelèrent la police. Pourtant l'homme, exceptionnellement conservé grâce à  l'acide humique (il fonctionne comme un tanin), était mort depuis presque 2500 ans. La raison de sa mort apparut d'emblée évidente car il portait encore autour du cou la corde qui avait servi à l'étrangler. 
L’homme de Lindow, trouvé à côté de Liverpool (1984) a aussi une corde autour du cou.

Les yeux et la bouche de l'homme de Tollund sont fermés, ses traits sont détendus, il a l'air de dormir. Il est dans une  position semi-fœtale. Il n'a pas les mains d'un travailleur manuel et l'état de ses pieds nus montre qu'il lui est arrivé de se chausser. Il porte une sorte de calotte pointue en peau de mouton attachée sous le menton par deux lanières de cuir de manière assez lâche pour permettre à la calotte de glisser facilement sur le cou. Une des extrémités de la ceinture de cuir qui entoure ses hanches passe par une fente ouverte dans l'autre extrémité avant de former une boucle facile à défaire. L'homme n'a rien d'autre sur le corps, rien en tout cas que le temps ait préservé, hormis la corde de cuir tressé autour de son cou. Elle a laissé un sillon visible sur la peau, la nuque n'est pas marquée, c'est là qu'était  le nœud.

Le contenu des viscères révéla que l'homme de Tollund, pour son dernier repas, avait absorbé une trentaine de plantes ou de graines différentes, rien que des végétaux.

Comment était mort cet homme ? Pourquoi a-t-il été enseveli nu ?


Exécution, assassinat ou sacrifice rituel ?

La première hypothèse est peu probable car le pendu n'a visiblement pas été traité comme un criminel. On lui a fermé les yeux et la bouche, on l'a couché dans la fosse de tourbe. Ces soins sont-ils l'indice d'un sacrifice rituel, peut-être au dieu de la tourbière pourvoyeur de combustible ?

Tacite mentionne – quatre ou cinq siècles plus tard il est vrai –  l'existence de sacrifices humains aux dieux jumeaux Froh et Freia qui incarnent la fécondité et l'éternelle jouvence dans la mythologie scandinave et que nous connaissons surtout grâce à  l'Anneau du Nibelung de Richard Wagner. Mais Tacite remarque aussi que les Germains goûtent si fortement les jeux de hasard qu'après avoir joué tous leurs biens, ils finissent par se jouer eux-mêmes. L'homme de Tollund s'est-il offert lui-même en sacrifice ?

La présence de ce corps dans la tourbière est inattendue : on sait que les sociétés du début de l'Âge du fer incinéraient leurs morts.

L'idée que les dieux ne se satisfaisaient pas des restes calcinés des victimes sacrificielles n'est peut-être pas purement spéculative, car à moins de 100m de là, douze ans plus tôt, un fermier avait trouvé en bêchant le corps d'une femme que l'on baptisa Elling et qui avait elle aussi un lien de cuir autour du cou. La face antérieure était en trop piteux état pour déterminer, à la fin des années 30, à quelle époque Elling avait vécu, une centaine d'années après l'homme de Tollund. 

Cette jeune femme d'une vingtaine d'années porte une ceinture de laine tissée autour de la taille, sa coiffure est remarquable :  une très longue tresse part du haut de la tête et s'enroule plusieurs fois pour former des boucles. Son corps est couvert d'une cape de cuir et une peau de vache enveloppe ses jambes. Le sillon qu'a tracé la corde est visible sur la peau du cou.

En 2002 l'homme de Tollund et Elling ont été intensément examinés par toutes sortes de savants. Les images fournies par les appareils de haute technologie montrent que l'homme de Tollund n'a pas été d'abord étranglé. Il était donc vivant quand la corde a été attachée autour de son cou, les vertèbres cervicales sont intactes. L'hypothèse que sa propre main ait noué la corde, avec ou sans intention de mettre fin à ses jours, n'a, semble-t-il, même pas été envisagée.



Premières interrogations de la médecine légale

À Vienne, au début du XIXè, le professeur de médecine légale Joseph Bernt (1770-1842) s'intéresse au cas étrange d'un homme trouvé pendu et nu, les mains et les organes génitaux liés. Il interprète cette mort comme un suicide attribué à une perturbation mentale. Il faudra attendre un siècle pour qu'un autre expert, Ernst Ziemke (1867–1935), décrive ce type de décès comme accidentel, dû à la strangulation auto-infligée en vue d'induire ou d'intensifier une excitation sexuelle. Quelques années plus tard le docteur André Jean Gros choisit la pendaison pour sujet de thèse. Bien qu'il reconnaisse ne pas avoir trouvé d'observation explicite, en matière de pendaison pratiquée dans un but érotique, il en suppose l'existence. Voici ce qu'il écrit :
Un sujet désirant ardemment éprouver des sensations voluptueuses se pend après avoir pris toutes les précautions pour cesser cette pendaison dès qu'il les aura éprouvées, il est surpris par la perte de connaissance et est incapable de se sauver seul lorsqu'il comprend trop tard qu'il est en danger...
"La pendaison accidentelle", Paris 1935

citation qui résume bien le comportement hypoxiphile, quoique le sujet n'ait probablement même pas le temps de "comprendre trop tard qu'il est en danger". La perte de conscience est totale : pas question de se relever si les pieds touchent le sol, ni de couper la corde si on est suspendu.

Remarquons que la question n'est pas posée de ce qui, dans la pendaison, pourrait susciter des sensations "voluptueuses". L'euphorie n'est pas non plus associée à la diminution de l'oxygénation du cerveau. Aujourd'hui il n'en est plus ainsi et les modus operandi foisonnent, tout vecteur de prédilection que soit la suspension : suffocation obtenue en s'entourant la tête d'un sac en plastique, strangulation avec un lien, inhalation de nitrites volatiles (poppers) ou de gaz hilarant, compression du sternum ou de l'abdomen ou encore toute combinaison de ces  techniques -
À lire la presse à propos de la récente et embarrassante mort de l'acteur David Carradine, on se prend à penser que les médias en disent trop ou trop peu. D'un côté au mépris singulier de la vie privée est décrite une pendaison atypique et de l'autre, comme si de rien n'était, les journaux se font l'écho des dangers de ce qu'ils ont pris l'habitude d'appeler le "jeu du foulard". Que va croire le public finalement ? La strangulation est-elle ce que les enfants appellent un jeu ou est-elle une sorte de fétiche sexuel ?


À quoi ressemblent les hypoxiphiles ?
On aimerait bien s'en faire une représentation, ne serait-ce que pour  un certain confort mental. Malheureusement aucun profil caractéristique ne s'impose : les deux genres sont concernés, l'hypoxiphilie est attestée, de manière plus ou moins allusive, dans des cultures très différentes et se perd dans a nuit des temps, autrement dit existe depuis toujours. Le découverte, fortuite ou sur incitation, se situe généralement dans la pré-adolescence (mais peut se produire plus tôt) et  n'aurait pas de dimension sexuelle, en tout cas consciente. Le jeune se limite en général à une première expérience en groupe, consentie le plus souvent pour plaire à ses pairs. Certains vont plus loin, et seuls, dans l'exploration de leur personne et il semble évident que tôt ou tard, avec l'éveil de la sexualité et la métamorphose que subit leur corps, la connexion avec l'érotisme s'opèrera inévitablement. Dans la plupart des cas à la sensorialité hypoxique se substituera une sexualité active, celle que l'on qualifie de "normale". D'autres pourraient ne pas renoncer à la première et, à en juger par l'âge de certaines victimes, ne plus les dissocier, tout du moins dans l'intimité de leur jardin secret. 
L'hypoxiphilie s'inscrit en général dans un rituel complexe où certains auteurs voient une actualisation de l'équation corps-phallus. 
  Lewin, BD –  "The Body as Phallus" in The Psychoanalytic Quarterly, 2:24-47, 1933.
  Bunker HA – " Body as Phallus: A Clinico-Etymological Note" in Psychoanalytic                  Quarterly 12 : 476-480, 1943
Un certain éonisme ou transvestisme est souvent associé à la strangulation : faut-il y voir une appropriation de l'image de la femme désirée mais inaccessible, autrement dit la mère ? Le bébé nourri au sein associerait d'emblée suffocation et bien-être (accompagné d'un réflexe gastro-urétral qui se traduirait en érection), comme la douleur respiratoire induite par ses pleurs serait indéfectiblement liée au bonheur de voir apparaître sa mère. La seconde séparation, celle de l'adolescence, réactiverait la première : le "suffoquer un peu pour survivre" du nourrisson deviendrait le "suffoquer un peu pour devenir sexuel" de l'adolescent. 
Resnik HLP – "Erotized repetitive hangings: a form of self-destructive behavior" in American Journal of  Psychotherapy, vol. 26, 1, 1972, pp 4-21
Pour d'autres, en "survivant" au rituel, à la mort théâtrale, l'individu émerge, peu à peu, comme sexuellement gratifié et physiquement intact avec un sentiment de soulagement, de triomphe et de mépris/ressentiment vis-à-vis d'une figure féminine impérieuse et indifférente : "vous pensez que je suis mort pour vous, mais en fait je vous ai tuée".
Sterba R  – On spiders, hanging and oral sadism in Am Imago. 1950 Mar; 7(1):21-8.
Les rituels, toutefois, sont loin d'être immuables et il semble que les mises-en-scène évoluent généralement dans le sens d'une plus grande élaboration. 






L'hypoxiphilie est-elle un syndrome ?
Bien que l'hypoxiphilie, devenue entité clinique en 1952, ait reçu la dénomination scientifique de "asphyxie sexuelle" en 1968, aucun terme ne s'impose vraiment, comme si ce qu'il désigne était trop dérangeant pour entrer dans la réalité quotidienne. La tendance, par ailleurs, est d'en faire une perversion liée au sado-masochisme, bien qu'il ne s'agisse guère que de diminuer l'apport d'oxygène au cerveau tout en étant engagé dans une activité sexuelle egocentrée ou une production débridée de fantasmes.
 Le Manuel de diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM), dans sa 4è édition (1994), classe ce syndrome clinique comme une paraphilie.
Comment le manque d'oxygène, qui fait souffrir nos cellules nerveuses si gourmandes et si dépendantes de l'air environnant puisqu'elles n'ont aucun dispositif de stockage, pourquoi ce défaut d'oxygène suscite-t-il une telle sensation de bien-être (c'est finalement l'étymologie du mot "euphorie") ? Se pourrait-il que l'exaltation soit liée au flux de glutamates que libèrent les cellules nerveuses mourantes ? Si l'on en croit ceux qui ont ajouté l'excitation sexuelle à l'euphorie hypoxique, cette combinaison est sensoriellement plus intense que la somme de ses parties. 
On ne sait presque rien de sûr en fait d'étiologie ou sur la manière dont des individus largement dispersés géographiquement apprennent cette pratique (incident, imitation, suggestion ?), mais l'on sait que certains "amateurs" manifestent très tôt une grande prédilection pour les liens en général.



Combien s'engagent dans cette expérience sensorielle ? 
Le halo de secret entourant les pratiques d'hypoxiphilie compromet incontournablement les tentatives d'établir des statistiques.
Le ratio entre victimes mâles et femelles est de 50 pour 1, mais les femmes pourraient être plus prudentes. On estime entre 250 et 1200 le nombre annuel de décès aux États-Unis, c'est dire comme ces chiffres sont imprécis.
On ne peut même pas penser à se fonder sur les certificats de décès car la plupart du temps les équipes de secours pénètrent dans un lieu aseptisé. La famille ou les proches, on le comprend, s'emploient à effacer les traces de ce qui est arrivé. Il y en a qui préfèrent que l'on pense que leur enfant était suicidaire plutôt que sexuellement aventureux, que leur conjoint est mort volontairement de mal de vivre plutôt qu'en quête de plaisir, accidentellement. Il arrive ainsi que la famille, bouleversée par la nature indescriptible de la mort, fasse pression sur les autorités pour que le décès soit enregistré comme suicide, somme toute une mort "normale". Comment évaluer en outre le nombre de cas où tout se passe bien ? Famille, proches n'en ont pas la moindre idée et les médecins, pour la plupart, ne connaissent pas ou mal l'hypoxiphilie, ne sont pas habitués ou ne pensent pas à en déceler les signes.


Quels risques, quelle sécurité possible ? 
Dans la littérature la mort est réputée arriver généralement en raison d'une panne du dispositif de sécurité. Le mécanisme est tel que la constriction est fonction de l'état conscient. Par exemple, une corde est placée sur des poulies et la main tient l'extrémité libre de sorte qu'en cas de perte de connaissance la main lâche la corde et libère la tension. La complexité de certains dispositifs va de pair avec la sophistication du rituel. La solution du partenaire est très peu adoptée, le tabou a la vie dure. La présence d'un autre diminue sûrement le risque de mort, surtout si l'autre a suivi des cours d'anatomie et de réanimation. Mais dans l'état actuel du savoir médical l'imminence d'un arrêt cardiaque n'est pas détectable ni la réanimation toujours sûre. L'hypoxiphile risque fort, en mourant, de laisser son partenaire, légalement, sinon dans de mauvais draps du moins dans l'obligation de prouver son innocence. Pour ne rien dire des dégâts affectifs. Le risque est-il un facteur d'attraction ? Sans doute, mais la plupart des hypoxiphiles se protègent le cou. C'est d'ailleurs un des critères retenus par les médecins légistes pour poser leur diagnostic. À quel contrôle de la situation se fier si le désir de désinhibition est irrésistible ? L'hypoxiphile imagine-t-il seulement qu'un tiers, à son corps et son coeur défendants, puisse devoir s'immiscer dans la sphère privée la plus intime ? Qui ce tiers inquiet a-t-il des chances d'être ? Mère, épouse, fils ?
 




Que nous apprend l'histoire de la médecine sur la légendaire érection des pendus ?
En médecine comme ailleurs, parfois, il n'est pas de bon ton, sinon politiquement incorrect, d'appeler un chat un chat. En témoignent toutes sortes de prudences, comme l'absence de mot précis pour désigner les pratiques d'hypoxyphilie. On parle de "scarfing" – un dérivé de "scarf" (foulard) donc "foulardage" –, d'asphyxiophilie, d'asphyxie auto-érotique, de strangulation sexuelle, de respiration suffoquée (oxymore), de rétention du souffle. Le premier à s'interroger dans un écrit sur la question de l'érection des pendus est Alexandre Brierre de Boismont (1797-1881). 
Du suicide et de la folie suicide considérés dans leurs rapports avec la statistique, la médecine et la philosophie, Paris 1856
Il analyse 790 asphyxies par strangulation et suspension (décrits du reste comme des suicides). Un homme sur dix est trouvé en érection d'après les procès-verbaux, dans deux cas elle n'est constatée que dix heures après la strangulation et dans un autre elle persiste pendant cinq jours. Une éjaculation étant observée en même temps qu'une évacuation de l'urine et des matières fécales une fois sur sept, Boismont se demande si cette disposition tient à un spasme ou à un relâchement des sphincters. Il note que quelques pendus rappelés à la vie déclarent avoir vu "comme un éclair leur passer devant les yeux" et avoir senti leurs jambes d'une "pesanteur extrême". Aucun ne fait allusion à l'état de ses organes génitaux et plusieurs affirment avoir perdu à l'instant même tout sentiment de l'existence. Quelques années plus tard, le professeur Johann Ludwig Casper (1796-1864) déclare sans état d'âme que 
plus il observe de strangulés, plus il se convainc que cette thèse qui a envahi la médecine légale et qui a été copiée d'un livre dans un autre est contraire à l'expérience ...

Practisches Handbuch der gerichtlichen Medicin, Berlin 1871
traduit "sous les yeux de l'auteur" par Gustave Germer Baillière  Traité pratique de médecine légale rédigé d'après des observations personnelles, Paris 1862
J'ai toujours examiné avec soin l'état des parties génitales et n'ai jamais vu d'érection... Parfois une demi-érection, mais c'est là un fait trop rare et trop peu prononcé pour mériter la peine d'être noté... On pourrait croire qu'il y a toujours érection si l'on trouvait toujours éjaculation de sperme, ce qui n'arrive pas."


Et Casper se moque de son confrère Devergie qui

qualifie les taches de sperme sur le linge des pendus comme très fréquentes, quoiqu'il avoue n'avoir jamais vu, lui non plus, ni une érection ni une demi-érection sur le cadavre". Et de mettre en doute la fraîcheur des taches observées : "était-ce bien du sperme ?
 
Érection réflexe ou spontanée, sans caractère sexuel 
Rapportant ses expériences sur le contenu de l'urètre, Casper déclare avoir trouvé des spermatozoïdes chez des hommes morts subitement, tués par armes à feu, empoisonnés à l'acide prussique, noyés etc. et ironise On ne peut pas admettre que tous ces hommes aient exercé le coït un instant avant la mort !. Quant au pendant féminin il s'esclaffe Quelle valeur peut avoir la présence d'humidité dans le vagin! et conclut catégoriquement que l'état des organes génitaux n'est caractéristique ni de la pendaison ni de la strangulation.
Gabriel Tourdes (1810-1900) toutefois
  Traité de médecine légale théorique et pratique, Paris 1896
observe que, pendant la période convulsive et par action réflexe, une érection et assez souvent une éjaculation se produisent. La connaissance étant alors absolument abolie, tout indique l'absence de sensation voluptueuse. 
La psychanalyste Marie Bonaparte (1882-1962) 
Edgar Allen Poe. Étude psychanalytique (avant-propos de S. Freud),  Paris 1933
s'intéresse à la question des sensations voluptueuses associées à la constriction du cou et se demande pourquoi Edgar Poe, dans une nouvelle intitulée Loss of Breath (perte d'haleine), soumet son héros au supplice de la pendaison. Elle rappelle que la renommée de ce châtiment est identique quels que soient les climats et les temps et inscrit dans cet inconscient collectif l'origine du mythe de la mandragore, racine à forme vaguement humaine censée pousser au pied des gibets. Or le personnage de Loss of Breath est impuissant car il a subi une multi-castration viscérale symbolique. L'idée de la pendaison correspondrait, chez Poe, à une protestation, à une "revanche de l'inconscient de Poe se réattribuant le phallus" : J'entendais mon coeur battre avec violence, les veines de mes mains et de mes poignets gonflaient presque à éclater ; mes tempes battaient en tempête et je sentais que mes yeux sortaient de leurs orbites, allusion inconsciente à l'érection.
The protagonist in “A Loss of Breath” lost the ability to breathe (yet somehow stayed alive and could talk) after throttling his wife and yelling at her, and ended up hanged and then eviscerated.

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